Quelle est votre date de naissance?
Le 3 Juin 1931.
Dans quelle ville êtes-vous né et quels souvenirs en gardez-vous?
Je suis né à Beaumont-Village, en Touraine.
Gardez-vous des souvenirs particuliers de cet endroit?
Oui, en particulier, celui d’avoir été sollicité par la municipalité pour réaliser le grand tableau qui décorait le Char du défilé annuel du Canton et d’avoir été rémunéré par la Mairie.
Pendant votre enfance, avez-vous vécu ailleurs?
J’ai vécu chez mes parents jusqu’à l’âge de 16-17 ans avant de rejoindre Paris.
Pouvez-vous nous parler de vos parents?
Dans mon village, mon Père était très connu en tant que forgeron Maréchal-Ferrant. Ma mère restait à la maison pour de s’occuper de mes frères et sœurs.
A part votre demi-sœur, aviez-vous d’autres frères et sœurs?
Nous étions une famille de six enfants. Ma mère avait beaucoup de travail.
Pouvez-vous parler d’un moment de votre enfance qui vous a particulièrement marqué?
J’avais 8 ans lorsque la Guerre fut déclarée et ce fut la partie sombre de mon adolescence.
Pouvez-vous nous parler de votre éducation et des écoles que vous avez fréquentées?
Je suis allé à l’école de mon village jusqu’au Certificat d’Études. Poursuivre des études supérieures pendant la guerre n’était pas possible. Mon village se situait en zone libre et pour aller en zone occupée, il était indispensable d’avoir un "Laissez-passer"; que quelques personnes possédaient.
Du coup entre le Certificat d’Études et vos 17 ans, vous n’avez pas étudié?
Je n’ai pas pu. Il n’y avait pas accès aux écoles supérieures.
Quand vous êtes devenu adulte, quelles étaient vos aspirations?
De pouvoir exercer un emploi dans le dessin. C’est en arrivant à Paris dans la famille de ma Mère que je ne connaissais pas. Car ma Mère était Parisienne mais veuve de la Guerre de 1914 avec une fille.
Donc, vous avez commencé à peindre quand vous êtes arrivé à Paris?
A mes moments libres, je faisais des croquis et du fusain. Je fréquentais la Butte Montmartre, la Place du Tertre. Puis le soir, dans une salle municipale, Métro Lamarck-Caulincourt, je prenais des cours de dessin au fusain sous la tutelle de deux professeurs des Beaux-Arts. C’est d’ailleurs là que j’ai dessiné mes premiers nus.
Avez-vous dû faire face à des défis pendant cette période?
Je reconnais qu’il m’était difficile de concilier mes heures de travail avec ma passion du dessin. Cependant, comme je résidais Rue St-Julien le pauvre devant le petit Square Viviani face à la Cathédrale Notre-Dame de Paris, à chaque moment libres, j’installais mon chevalet sur les quais de la Seine. J’affectionnais en particulier la Fontaine St-Michel, les rues pittoresques comme la Rue St-Séverin et la Rue de la Huchette. A cette époque, les voitures étaient rares.
Avez-vous été marié, et si oui, qui était votre femme?
C’est pendant la période de mon service militaire obligatoire de 18 mois à l’École de Cavalerie à Saumur où se distinguaient les cavaliers du "Cadre-Noir" remarquables que j’ai eu l’occasion de rencontrer cette Saumuroise qui allait devenir ma femme.
Pour la peinture, appréciait-elle ce que vous faisiez?
Oui, c’est lors d’expositions locales qu’elle a découvert ma peinture. Et puis, pendant 18 mois, elle venait souvent me rejoindre sur les bords de la Loire entrain de brosser une toile.
Revenons un instant sur votre vie privée. Combien d’enfants avez-vous? Comment s’appellent-ils?
J’ai une fille. Elle s’appelle Laurence. Très gentille et courageuse, elle possède un bon coup de peinture. Contrairement à moi, elle a voyagé très tôt et à 20 ans, elle est partie en tant que fille au pair pendant plusieurs mois aux Etats-Unis, à Boston. Ses études en publicité terminées, elle a travaillé dans plusieurs maisons de dessin à Paris avant de vouloir repartir aux Etats-Unis. La Green-card étant difficile à obtenir, elle s’est tournée vers le Canada où lors d’un voyage de prospection, elle est revenue avec une promesse d’embauche. 8 mois plus tard, elle partait avec son visa en mains et cela fait plus de 20 ans qu’elle vit au Québec. Avec sa mère, nous pensions qu’elle reviendrait mais elle n’est jamais revenue.
Etes-vous déjà allés la voir?
On y allait au moins deux fois par année avec ma femme pour profiter de notre petit-fils et bien sûr visiter, faire des photos pour les nombreux tableaux que j’ai faits sur le Québec. Tous sont partis aux Etats-Unis.
Avez-vous beaucoup voyagé ou même vécu en dehors de France et comment cela a-t-il influencé votre manière de concevoir l’art et la vie en général?
Non, je n’ai pas beaucoup voyagé en dehors de quelques beaux voyages touristiques accompagnés de ma femme.
Cela a-t-il influencé votre manière de dessiner?
Je ne le pense pas. Mais j’étais ravi de découvrir de très beaux tableaux. Notamment au Palais de l’Ermitage à St-Pétersbourg en Russie, à Florence en Italie et puis, j’ai été séduit dans la réalité par les jardins de Grenade en Andalousie.
Avez-vous reçu une formation artistique que ce soit une école ou sous une quelconque autre forme d’apprentissage?
Aucune formation ne m’a été enseignée en dehors de mes dessins et fusains guidés par les deux professeurs des Beaux-Arts de Paris qui se déplaçaient à Montmartre.
Votre famille vous a-t-elle soutenu dans votre volonté de poursuivre une carrière artistique?
J’étais encouragé par ma famille pour honorer les invitations à exposer à divers salons : Au Salon des Arts et Métiers à l’Hôtel de Ville de Paris ; A la Francilienne des Arts au Château de Lormoy ou un Sénateur m’a honoré du Prix du Sénat.
Aviez-vous un autre travail?
Oui, dans un laboratoire de mécanique.
Et avez-vous travaillé jusqu’à la retraire?
Oui.
A quel âge avez-vous pris votre retraite?
A 60 ans.
Au départ lorsque vous peignez à Montmartre, qu’est-ce qui vous inspirait?
Le vieux Paris car j’étais sur place.
Donc quelqu’un est vous venu vous chercher pour exposer au Salon des Indépendants?
C’est sur les conseils d’un ami, le peintre Farina, permanent dans une galerie à Montmartre, que je fus parrainé pour exposer au Salon des Indépendants au Grand-Palais. Au début des années 1980. Et c’est lors de ma première exposition qu’il m’a ordonné de retirer le i de Garnier car nous étions 5 exposants du même Nom.
Avant ces années, aviez-vous déjà vendu des toiles?
Bien sûr, par connaissance et sur commande. Heureusement car je devais payer mes frais d’inscription et les frais de catalogue.
Pourquoi avez-vous choisi de consacrer votre travail à des scènes de la Vallée de la Loire?
Pour deux raisons : La Vallée de la Loire avec ses châteaux me rappelait ma jeunesse et les châteaux sont très appréciés des Américains.
Y a-t-il eu d’autres sujets que vous avez aimé peindre?
Tous les paysages composés de miroirs d’eau.
C’est une technique que vous avez trouvé tout seul, en tâtonnant?
Mon avidité de connaître cette technique était tenace, technique que l’on appelle : la technique des glacis.
Aviez-vous l’habitude de peindre directement sur place ou à partir de photographies représentant des châteaux et autres scènes que l’on peut voir sur vos œuvres?
Lorsque j’étais jeune, même jeune marié, je me rendais sur place avec mon chevalet. Je faisais une ébauche, je fixais un modèle pour le travailler et le terminer dans mon atelier. Et puis, pendant plusieurs années, nous partions avec ma femme dans différentes régions de France pour photographier des lieux que je reproduisais en les modifiant à ma convenance.
Combien de temps vous faut-il habituellement pour achever un tableau?
Du jour où je commence une toile au moment de la vernir, il s’écoule environ six mois. Je ne compte pas le nombre de reprises.
Votre travail est souvent décrit comme une "réalité photographique." Aviez-vous à prévu l’origine de peindre de cette manière ou votre style s’est-il développé progressivement?
Je n’ai jamais cherché à avoir un style. Ma peinture est le résultat de mes mélanges de pigments et de mes couches successives. Pendant cette période, les pigments n’avaient pas encore subit la modification imposée par l’écologie. Aujourd’hui, avec les pigments modifiés, il n’est plus possible de réaliser ces mélanges qui sont à la base de la technique des glacis. En temps voulu, j’ai dû avoir recours auprès du fabricant directement qui possédait des stocks d’anciens tubes.
Donc, vous avez toujours fait ce genre de peinture très réaliste?
Mon goût pour la recherche me poussait à ignorer les tendances qui m’entouraient.
Y a-t-il eu des moments où vous avez connu des difficultés pour trouver l’inspiration? Avez-vous déjà pensé à mettre un terme à votre carrière de peintre professionnel?
La peinture a toujours été ma passion. Je ne l’ai jamais considéré comme une profession.
Vous tenez-vous informé des évènements liés au monde de l’art aujourd’hui?
J’ai longtemps été abonné à la revue "Valeur de l’art." C’est ainsi que j’ai suivi l’avancée de l’art moderne.
Pouvez-vous revenir sur les difficultés que vous avez connues avec les peintres et amateurs d’art contemporain?
Les peintres figuratifs avaient le sentiment de gêner l’art moderne. C’est dans le placement des salons que nous étions en quelques sortes marginalisés.
Pouvez-vous raconter ce qui s’est passé à Amsterdam?
A cette époque, un ami des arts, Didier Farvacque organisait une exposition hors de France. Sur sa demande, je lui confiais deux toiles. Ce salon se composait que de tableaux figuratifs. Le jour du vernissage, la soirée terminée, quelle ne fut pas sa surprise, par cette agression verbale, de croiser un homme qui l’attendait et de s’entendre dire: "tu n’as rien à faire ici avec tes figuratifs! N’y revient pas l’année prochaine!"
Pouvez-vous nous parler de vos liens avec la Société des Artistes des Indépendants?
La création du Salon des Indépendants remonte à 1884. Lorsque j’exposais à ce Salon début des années 1980, se succédaient le Salon des artistes Français, le Salon d’Automne ect… - appelés les "Salons historiques" - C’était une tradition. Mais en l’espace d’une décennie, l’art moderne s’est imposé parfois avec outrance : Nous avons pu voir exposés les excréments de l’Italien Manzoni au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris. C’est à ce moment-là que le CDAGP "Comité de Défense des Artistes du Grand Palais" fut créé. Lors d’une assemblée générale de ce comité, le Président de l’École des Beaux-Arts, Monsieur Baboulet à l’époque, s’est exclamé en levant les bras au ciel "On n’enseigne plus à l’école des Beaux-Arts, c’est l’expression libre!" A la même époque, l’académicien Jean Clair s’exprimait en écrivant : l’art moderne, c’est le retour au cerveau primitif et on enterre joyeusement et sauvagement notre culture.
Quel était votre statut au Salon des Indépendants? Etiez-vous membre?
Uniquement membre. Je n’ai pas voulu occuper une place prépondérante.
Vous souvenez-vous avoir visité certaines galeries à New-York où vos œuvres étaient exposées?
C’est en 1993 que mes deux courtiers New Yorkais m’ont prié de venir à New-York pour signer des "Posters" de l’exposition Garner sur Madison Avenue, chez Heidï Neuhoff Galery Inc. Quel bonheur j’ai ressenti en signant un Poster à Nadine de Rothschild!
Vous êtes allés deux fois à New-York?
La seconde fois, c’est à l’extrême Nord de New-York. Au lieu-dit : The Cloister que je fus invité à me rendre avec mes courtiers qui avaient organisés une exposition personnelle. Je fus très surpris par cet accueil exceptionnel.
Pouvez-vous nous dire le nom de vos courtiers?
Par respect envers les ennuis qu’ils connurent à cette époque et les obligèrent à abandonner leur travail.
A partir de là, vous avez cessé d’exposer et de vendre?
Je vendais quelques toiles sur commande. Mais en France, les peintres figuratifs étaient de plus en plus gênés par les menaces de l’art moderne. Des menaces dénoncées dans le livre écrit par Christine Sourgins "Les mirages de l’art contemporain."
Y a-t-il d’autres galeries en France ou ailleurs qui ont exposées vos œuvres?
J’ai exposé dans bien des villes en France sur sollicitations d’associations. Également en Allemagne, à Oberhausen, ville jumelée avec ma ville de Sainte Geneviève des Bois. A la galerie Salambo à Genève et à Prague via une association.
Quand vous vendiez vos œuvres, c’est vous qui négociiez?
Avec mes courtiers américains, je me contentais du prix qu’ils m’offraient car ils absorbaient toute ma production. Jusqu’au moment qui coïncidait avec la cessation de leur activité, une amie me révéla le prix d’une de mes toiles découverte à New-York : cette somme représentait 17 fois le montant de mon gain…
Au fil des années, combien d’œuvres avez-vous créées?
Approximativement, j’estime ma production à 200 – 250 toiles. Avant d’exposer au Grand Palais, ma création était simplement le résultat de mes recherches. C’est vraiment au début des années 1980 lorsque mes courtiers américains m’ont découvert que la motivation de création d’œuvres s’est développée.
Avez-vous le sentiment d’avoir eu la reconnaissance que vous méritiez en tant qu’artiste ou cela vous laissait-il indifférent?
Ca me laissait indifférent. Cependant, ça fait toujours plaisir d’entendre un visiteur dire "Cette toile est reposante." Et puis, l’état d’esprit américain, révélé par mes courtiers est bien différent de l’esprit européen. Un acquéreur américain à la découverte d’une œuvre ce là représente mentalement dans le milieu où il vit ; où cette toile aura sa place. La signature de l’œuvre passe après.
Dans la vie, avez-vous eu d’autres passions ou d’autres centres d’intérêt?
La musique classique a toujours comblé mes moments de réflexion. Beethoven, Mozart, Tchaïkovski occupent une grande place dans ma discothèque.
Vous nous avez dit que vous aviez arrêté de peindre?
C’est exact. Voilà trois ans, j’ai perdu ma femme. Seul, la première année, j’ai peint une série de très petites toiles raffinées, pour oublier, pour m’étourdir, ne penser à rien d’autre. Depuis, j’ai arrêté de peindre.
Donc, elle jouait un rôle important dans votre création?
En sa présence, j’avais l’esprit tranquille. Je supportais mieux les aléas de la vie.
Quels conseils donneriez-vous à quelqu’un qui souhaiterait poursuivre une carrière d’artiste?
Je lui conseillerais d’avoir un emploi lui permettant à temps libres de dessiner et de peindre en fonction des tendances de l’époque.
Y a-t-il autre chose que vous aimeriez partager avec nous?
Pour rester dans le domaine de l’art, je dirai que l’Occident a traversé un siècle inouï. Pour ma part, même si l’âge y contribue, je n’arrive toujours pas à comprendre le peuple qui s’est laissé entrainer dans ce labyrinthe, sous prétexte de l’expression libre. Avec le développement des nouvelles technologies, notre culture a subit une grande dégradation. Cependant, je veux rester optimiste car je constate un timide retour du figuratif malgré les difficultés rencontrées avec les nouveaux pigments sous prétexte d’écologie.
Interview conducted in French and translated and edited by Marine Parent, David Kokakis and Laurence Garnier.
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